FIGURES

Texte et musique : François Vey


I. Orange
Je viens de voir passer la vierge orange
Celle qui vole les regards
Bien vite, elle a disparu, mais je l'ai vue passer
Le buste droit, elle a marché.

Il a fait froid soudain, pour les autres
Ceux du dehors
Que faisaient-ils, les yeux des autres ?
Ils regardaient le piège de la vierge
Celle qui vole les regards.
 

II. Assis
J'étais comme ceux dont on parle dans les livres
Quelque part dans un conte, assis je crois
J'ai oublié.

Le marchand est venu : Approchez, approchez !
Il déplie ses tissus, nous montre ses étoffes
Il nous avait vendu le monde.
Veux-tu ma veste, dit-il ? Tu en auras besoin
Affaire conclue, dit le marchand. Je veux te voir encore.
Je veux te voir encore.

Le marchand est parti, je crois.
Je suis assis.
 

III. C'était
C'était peut-être à la croisée des chemins
Mais où pouvais-je aller ?
C'était comme si
Je marchais.

Il y avait un arbre, un marron est tombé
Ce devait être en automne
Le marron me dit qu'il m'avait déjà vu,
Qu'il m'avait même écouté
Je n'ai pas le souvenir
D'avoir parlé

C'était sur un chemin
Où pouvais-je bien aller ?
 

IV. La Fourmi brûlée
Elle passait son chemin
M'ignorant comme on ignore un mur
Je ne voulais pas être méchant
Je voulais faire comme les autres
Sceller le destin d'une fourmi dans une flamme

Je voulais faire comme les autres
Mais je n'ai pas su faire
J'ai brûlé la fourmi
– La moitié
Même un insecte crie pitié
 

V. Jaune
J'ai vu garé un vélo jaune
Abandonné
Il était seul
Il méditait.
On l'a traîné par là
Sur mon chemin
Là où je passe
Sois sage, vélo jaune de passage !

Le vélo jaune porte malheur
J'ai froid
J'ai peur.
 

VI. Les Trois Petits Lutins
Les trois petits lutins des villes
Sur leurs pieds ils sont debout
On aurait dit des arbres clous
Comme ceux qui nous menacent dans la nuit, dans la nuit
Dans la nuit.

Les trois me disent excusez-moi en guise de salut
Ou un salut peut-être
Ils me demandent une cigarette
Petits lutins, excusez-moi, je vous salue

La rue,
Tous les chats sont grues.
 

VII. Le Bienvenu
Sois le bienvenu parmi moi, toi le chat
Chat
Chat doux
Chat des étoiles
Toi qui aimes à te suspendre à mes genoux
Chat surprenant
Chat philosophe
En reculant miaou
Toi qui demandes, qui commandes
T'assois sur mes genoux

Le chat-dragon à la fourrure
Ô tes yeux qui marquent ton indifférence
Passe
Passe donc
Chat d'un moment
Tu fus le bienvenu
Chat qui passe
Chat de mes angoisses
 

VIII. Comme
Comme un enfant qui croit pleurer, je m'assieds sur des marches
Je regarde passer
Comme ça on voit que je regarde
Et c'est bien.

J'ai suivi ceux qui s'avançaient
On a fermé la porte
Il était tard, sans doute, trop tard pour les enfants
Il ne faut pas insister
Il faut se coucher.

Comme un enfant j'ai découvert la pluie
J'ai vu ceux qui couraient
Mes cheveux sont mouillés, ils bouclent
Sans doute qu'ils ont peur.
 

IX. L'homme qui marche
L'homme qui marche
Depuis si longtemps
L'homme croise un homme
Il marche.

Ils se regardent, un temps à peine.

Ils marchent
À peine
Ils se croisent.
 

X. Figures
D'un mot, je crée toute figure, le sage a dit
Le sage a dit
D'un mot je tue toute figure
Le sage a dit
Je ferai comme lui.
 

XI
Le monde m'a vu, oui, oui !
Là où je passe, où l'on m'a vu passer
Dans le silence, on m'a vu traverser.

Je suis celui qui marche
Devant l'arbre coupé

   François Vey en 2000.